La légende d’un peintre(3)

Le bouddha vivant Lian-sheng Sheng-yen Lu
La Claire Lumière ici et maintenant
Illumination sur le trouble de l'esprit
Traduit du chinois par Sandrine Fang
Copyright © Sheng-yen u ©2015, Éditions Darong


Mais le tyran cruel n’était pas une autre
personne que Ts’ao Wei.
Dans mon oeil céleste, Ts’ao Wei et une
multitude innombrable de jolies femmes s’amusaient
démesurément ; il devenait en fin de
compte quelqu’un qui « assouvit sa faim et
ne prête plus attention à rien », et à un tel
niveau que sa moelle même tombait en putréfaction.
*
Je pris une décision sur-le-champ :
— Brûlez tous les tableaux de nus !
Sa famille refusa :
— On ne peut pas !
— Pourquoi ?
— La première raison, ce sont des oeuvres
précieuses ; la deuxième, elles sont extrêmement
coûteuses ; la troisième, Ts’ao Wei les
adore.
Je dis :
— De la santé ou de la peinture, laquelle
est la plus importante ?
Sa famille répondit :
— La santé est la plus importante !
J’insistai :
— Brûlez-les !

Dès que ce fut fait, un miracle se
produisit. Avant, le physique et l’esprit de
Ts’ao Wei était débile, son corps efflanqué, il
n’avait quasiment pas d’espoir de demeurer en
vie. Après la destruction de ses tableaux, sa
santé s’améliora considérablement. Il lui sembla
se débarrasser déjà d’un fardeau et se sentir
complètement à l’aise, comme les nouvelles
pousses d’un arbre mort, sa vie reprit son
cours.
Puis Ts’ao Wei fut en état de s’alimenter
et de se tenir debout pendant un bon moment,
son énergie vitale circula progressivement
et librement, et son asthénie fut guérie
de façon naturelle !
Trois mois après, il devint un autre
Ts’ao Wei plein de vie.
Je lui demandai :
— Dans quelles dispositions vous
trouviez-vous alors quand vous représentiez
de belles femmes par l’art de la peinture ?
Il répondit :
— Je l’ai fait avec plaisir et sans lasciveté.
— Vraiment ?
Ts’ao Wei se mit à rire et ne voulut pas
répondre.
Je repartis :

— Par l’habileté luxurieuse, absolument
sans principes moraux, votre pensée a-t-elle
été agitée ?
Ts’ao Wei donna ainsi sa réponse :
— Le coeur est le maître de la peinture.
Je dis :
— Par la peinture des femmes nues,
monsieur a excité le coeur obscène du monde.
Non seulement le coeur des gens est agité, mais
votre propre pensée aussi est troublée. Ce qui
est exactement une cause importante de la
chute dans les Trois Mauvaises Voies !
Ts’ao Wei, saisi d’effroi, déclara :
— Je n’ose plus faire de peintures des
femmes nues.
Je lui fis savoir :
— Peindre des femmes ou des hommes
dénudés existe depuis l’Antiquité et jusqu’à
aujourd’hui, en Chine comme à l’étranger.
Les peintres qui entreprennent cela, ce qu’ils
montrent, c’est la force du physique et l’esthétique
du corps. La représentation du
corps humain, d’une façon distinguée, gracieuse,
extraordinaire, est effectivement un
bon thème de peinture, notamment la magnificence
des lignes du corps humain est
une oeuvre de la nature, on ne saurait faire
reproche au peintre de l’aborder. Cependant,
si le peintre exprime l’expression du désir

charnel, s’il montre encore intentionnellement
et habilement la lubricité, il y aura des mauvaises
répercussions sur ses mérites cachés,
car le coeur est troublé par le désir sexuel.
Ts’ao Wei comprit la gravité du fait. Je
lui relatai l’histoire que voici :
Dans un temps passé, un certain Li Boshih
peignait sur le thème du cheval et devenait
célèbre par sa représentation de cet
animal.
Li Bo-shih pensait jour et nuit au cheval,
il l’avait dans l’esprit à chaque instant, tout le
temps.
Un jour, pendant que Li Bo-shih faisait
une sieste au milieu du jour, son meilleur
ami, le maître de méditation Tong-hsiu, vint
le rencontrer. La personne venue vit qu’étant
dans son sommeil profond, Li Bo-shih se
transformait tantôt en un cheval, tantôt en
un être humain.
Alors, le maître de méditation Tong-hsiu
avertit Li Bo-shih que s’il pensait sans cesse
au cheval, il déchoirait et se réincarnerait
dans le placenta d’une jument !
Li Bo-shih, rempli de confusion, lui exprima
sa gratitude !