Le moine ayant cédé à la séduction(2)
■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu
■ La Claire Lumière ici et maintenant Illumination sur le trouble de l'esprit
■ Traduit du chinois par Sandrine Fang
■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2015, Éditions Darong
La figure du moine éminent était saine ;
son observance des préceptes et ses vertus
étaient élevées, sublimes. Les gens de la région
et des personnes de marque étaient tous
ses disciples ; ce religieux de haute vertu était
brillant, éblouissant.
La situation en étant arrivée là, le seigneur
ne se sentait vraiment pas dans une situation
agréable. Autrefois, cet homme qui
habitait au pied de la montagne était un nabab
respecté par tout le monde, il pratiquait
d’ailleurs très souvent la bienfaisance et avait
obtenu une bonne réputation auprès du peuple.
Les gens disaient qu’il était un homme charitable.
Cependant, le moine éminent qui se trouvait
au sommet de la montagne avait attiré vers
lui tout le monde sans dépenser le moindre
sou mais sur une simple rumeur. Le seigneur
avait l’impression qu’il était rabaissé et que
son renom était en plus altéré et dénaturé.
Quand les gens exaltaient devant le seigneur
la vertu du moine éminent, le seigneur
ne manifestait aucun sentiment de jalousie sur
son visage, mais, intérieurement, il grinçait des
dents.
*
Un jour, à la tombée de la nuit, un palanquin
précédé par quelques servantes amena
une femme belle comme une fleur, splendide
comme un jade, à l’endroit où séjournait
le moine éminent.
Cette jolie femme venait pour entendre l’enseignement
du dharma et les paroles efficaces
du moine.
Elle se prétendait l’épouse d’un haut fonctionnaire
de la commune voisine, elle
était svelte et charmante, avait des sourcils
fins et arqués comme la lune, le regard affectueux
et cajoleur, un nez mignon, une bouche
petite comme une cerise. Quand elle parlait,
sa voix ressemblait vraiment au chant du rossignol.
Quand la prétendue épouse du haut
fonctionnaire marchait, sa parure faisait un
tintement, elle balançait ses hanches en montrant
son charme. Cette femme était belle et
resplendissante à la fois.
Le moine enseigna le dharma, tête baissée.
La belle femme et ses servantes l’exaltèrent.
Après avoir fini son enseignement, le
moine voulut se retirer dans une chambre à
l’intérieur.
La belle femme et ses servantes ne souhaitèrent
pas qu’il s’en aille, elles estimèrent
que son discours était magnifique et elles demandèrent
au moine de continuer à les instruire.
Alors, le moine parla de la cause pour
laquelle le Bouddha était entré en religion.
Son enseignement fut si brillant que la belle
femme fondit en larmes et son coeur s’émut
profondément.
Le moine enseigna jusqu’au coucher du
soleil. La belle femme et ses servantes n’étaient
toujours pas assouvies.
La nuit tomba. Comme le chemin montagnard
était escarpé, la femme du haut fonctionnaire
s’était proposée de redescendre le
plus tôt possible de la montagne après avoir
entendu la parole efficace du moine éminent.
Contre toute attente, dès qu’elle eut écouté
son enseignement, elle devint enthousiaste et
elle ne fut même pas consciente que le soleil
s’était déjà couché et que le temps était passé
vraiment vite.
À la montagne, après le coucher du soleil,
le ciel devient obscur, il est très bas, les
alentours sont totalement noirs, les cris d’animaux
et d’oiseaux résonnent alternativement.
Tout le monde savait que le chemin de
montagne était raboteux, la femme et ses
servantes ne pouvaient donc que passer la
nuit sur la montagne.
À cet endroit, il n’y avait au début que le
moine qui se cultivait et qui, pendant vingt
années, habita dans une chaumière très grossière.
Plus tard, ses disciples étaient arrivés
de plus en plus nombreux et ils avaient construit
pour leur maître un bâtiment d’enseignement.
Celui-ci contenait une salle précieuse
du Grand Héros (da xiong bao dien :
salle principale d’un temple dédié au Bouddha)
et, sur les côtés, des chambres dans lesquelles
logeaient les fidèles pendant la période
des cérémonies religieuses et qui n’étaient
pas occupées en temps ordinaire ; le moine
habitait donc toujours seul.
Évidemment, il n’y avait aucun problème
pour loger la jolie femme du haut fonctionnaire
et ses servantes ; la première habiterait
seule la chambre de droite, et les autres occuperaient
celle de gauche.
Cette nuit-là, tout le monde alla dormir
très tôt.
*
À l’approche de minuit, à la porte de la
chambre du moine retentirent des bruits, « pan !
pan ! », bien légers, mais très pressés.
Le moine ouvrit la porte. C’était la belle
et charmante femme tel le reptile sans os ;
son visage était blême et avait un air importuné
et douloureux, comme si elle était malade.
La jolie femme avait les mains sur sa tête ;
paremment, sa douleur était très violente.
Le moine s’effraya :
— Quelle est la maladie ?
— Laissez-moi entrer, le vent est fort à
l’extérieur !
Le moine ne se douta pas d’elle et la laissa
entrer dans son logement. Il lui fit un thé.
Après en avoir bu, elle retrouva légèrement
sa tranquillité d’esprit.
La belle femme articula alors :
— Maître, vous devez me porter secours
!
— Bien sûr que je vais vous aider. Mais,
je ne suis pas médecin.
— Vous avez absolument la capacité
pour me sauver.
— Si j’en ai la capacité, je vous porterai
certainement secours !
Alors, la belle femme expliqua son problème
: elle avait une maladie qui empirait
depuis sa jeunesse, et, lors des crises, elle avait
une céphalée si violente qu’elle ne pouvait
que l’endurer en se roulant par terre. Pour la
soulager, c’était simple, il suffisait que le nombril
d’un homme touche le sien. Étrangement,
dès qu’ils se touchaient, son mal de tête disparaissait.
Autrefois, c’était son père qui l’avait
assistée, et, après son mariage, c’était son
mari qui lui portait secours.
La belle femme versa des larmes abondantes
et dit :
— Il y a un bon moment que cette maladie
ne s’était pas manifestée, et il m’apparaît
qu’il y a une recrudescence ce soir. C’est
la véritable raison de ma venue pour vous
implorer, maître, de m’assister.
(la suite au prochain numéro)