Une étrange histoire de délivrance(2)

■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu

■ La Claire Lumière ici et maintenant Illumination sur le trouble de l'esprit

■ Traduit du chinois par Sandrine Fang

■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2015, Éditions Darong

 

Le demandeur me fit des reproches :

— Il ne peut en être question ! C’est injustifiable

! Pour une si petite cérémonie de la délivrance, maître dit « j’arrête », et il s’arrête,

parce qu’il s’agirait d’une situation étrange, de l’absence de l’âme, de la débauche, etc.

Nous allons donc demander à une autre personne d’officier.

Je me courbai en signe de respect devant le demandeur, ses parents et ses amis ! Et je

m’en allai avec un air embarrassé.

D’après ce qu’on disait, le demandeur avait, le soir même, avec de l’argent, fait venir

un très célèbre groupe funèbre, y compris un très grand maître officiant et plusieurs

choristes funéraires, lesquels s’associaient aux cantiques accompagnés par un piano électrique,

et la cérémonie de la délivrance s’était déroulée avec vivacité ; il avait même officié

« la procédure rituelle yogique pour alimenter les esprits affamés à la bouche enflammée

» ! Le demandeur se gaussait de moi :

— Ce maître officiant a une grande réputation,

l’aspect de la cérémonie religieuse qu’il préside est grandiose. Ce Sheng-yen Lu,

quel type d’homme est-il ? Quelle est cette sanction de la débauche ? Il a parlé de n’importe

quoi !

*

J’étais très triste pour cette cérémonie de la délivrance, car ce genre d’événement est

vraiment bien rare : je suis monté sur le siège du dharma et en suis descendu peu de temps

après pour signaler au demandeur l’impossibilité d’officier. De nos jours, on ne rencontre

jamais une telle situation.

Dans ma vie présente, il m’est arrivé assez rarement ce genre de situation, une ou

deux fois seulement. La plus difficile, ce fut le temps d’attente de l’arrivée de l’âme d’un

défunt, qui avait duré un peu trop longtemps.

Je ne chantais pas de façon hautaine, je n’accentuais pas à l’excès ce que je disais, je

ne cherchais pas non plus d’échappatoire, parce parce que j’étais bien conscient que l’âme de

Hsü Pen ne s’était pas présentée et qu’elle était vraiment introuvable. Étant donné son

absence, comment la délivrerais-je de son état de souffrance ?

J’étais trop honnête, je ne savais pas mentir, je ne faisais jamais de cérémonie superficielle

de la délivrance.

Je voulais savoir vraiment où se trouvait l’âme de Hsü Pen. Alors je me rendis au temple

Cheng-huang pour m’en enquérir auprès de mon vieil ami, la divinité Cheng-huang (génie

protecteur de la ville).

Je demandai :

— Où est l’âme de Hsü Pen ?

Cheng-huang répondit :

— Il faut consulter le registre.

— Eh bien, veuillez être rapide !

Un quart d’heure plus tard, Cheng-huang me donna pourtant cette réponse :

— Il n’est pas inscrit dans le registre.

Je désapprouvai cette réflexion :

— Vous êtes-vous trompé ? Il habitait dans votre district administratif ; il est mort,

et son âme n’est pas inscrite dans votre registre, comment serait-ce possible ?

Cheng-huang répondit :

— Deux catégories de mort ne sont pas inscrites dans le registre : la première, ce sont les pratiquants de la perfection qui montent directement au Ciel après leur mort, mais ces gens-là sont bien peu nombreux ; la seconde, ce sont les personnes qui ont commis un péché mortel, leur corps et leur esprit se trouvent complètement anéantis après leur mort. Étant donné leur disparition totale, pareillement, ils ne sont pas inscrits dans le registre.

— Hsü Pen serait-il capable de monter au Ciel ?

— C’est impossible. Dans cette ville, il n’y a aucun pratiquant qui s’exerce véritablement

à la pratique de la perfection.

— Serait-il possible que le corps et l’âme de Hsü Pen soient complètement éteints ?

— Ce n’est pas impossible.

Cheng-huang continua :

— Pour les péchés que les gens contemporains ont commis, la tuerie est un grand forfait,

le viol est une grande nocivité, le mas-sacre après le viol est un mal extrême.

Aucun de ces actes ne peut échapper tant soit peu à la moindre sanction infligée par le

royaume des ténèbres.

Je remerciai pour son indication la divinité vénérable Cheng-huang.

De retour chez moi, je réfléchis et réfléchis encore sur cette affaire. J’avais bien vu

les mots « châtiment de la débauche » inscrits sur la bande blanche que le Souverain arbitre

de la destinée avait tenue à la main.

Il ne s’agissait que de débauche, comment serait-il possible que sa forme et son esprit fussent

complètement anéantis ? La disparition totale du corps et de l’esprit est précisément la

mort de l’âme.

Je m’assis devant l’autel, je fermai les yeux et méditai l’affaire.

Soudain, devant mes yeux, je vis apparaître un écran sur lequel des mots survinrent

les uns après les autres :

Il est facile de violer la servante et l’épouse du serviteur. C’est à cause de la pauvreté qu’ils sont entrés dans la famille Hsü. Le jeune maître Hsü Pen se livrait à la lubricité, il avait offensé les moeurs et détruit la coutume. C’est bien dur d’en parler.

Le désir lascif de ce jeune homme s’épanchait partout. Plus il s’y adonnait,

plus il y prenait goût. Faire l’amour devant le fourneau entraîne un péché de plus. Il s’abandonnait aux plaisirs sexuels, quelle différence y a-t-il alors entre lui et les animaux ?

Il était pris d’une autre espèce de frénésie : il ne discernait pas l’intérieur de l’extérieur ; il cherchait dans l’enseignement du Bouddha la beauté féminine ; il avait même souillé la terre bouddhique et détruit la pratique de la purification Cette ultime inconduite mérite un châtiment cent fois plus lourd et entraîne une sentence de mort à laquelle il ne peut se soustraire.

Une veuve de ses voisins de droite observait la chasteté. Il lui faisait des oeillades pour exciter son coeur, et en un instant, son abstinence d’autrefois fut complètement réduite à rien. Ce péché est grand, ce mal est terrible, rien n’est plus grave que celui-ci.

Ayant rencontré une belle femme, il s’était prétendu galant, et à cause de la confusion de son coeur, il l’avait forcée à la copulation. Comme la femme l’avait refusé avec effort,

refusant jusqu’au bout de se résigner,

il l’avait étranglée de ses mains et l’avait tuée après l’avoir outragée.

Étant donné qu’il violait sa servante, qu’il souillait une nonne et qu’il ne lâchait pas la femme veuve, son esprit immoral ressemblait à la mer en courroux. Il avait enfoui le cadavre de la belle femme dans une montagne sauvage, il n’en ressentait même pas de regret, et il continuait à souiller des filles de bonne famille.

La belle femme est entrée dans le royaume des morts, elle a discrètement commandité un meurtre et envoyé deux râksasa (esprits maléfiques) 

pour mordre Hsü Pen. La chair et les os de ce dernier, comme son esprit et son âme, furent engloutis d’un trait et complètement anéantis.

(la suite au prochain numéro)