Le chef de district Yin(1)
■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu
■ La Claire Lumière ici et maintenant
Illumination sur le trouble de l'esprit
■ Traduit du chinois par Sandrine Fang
■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2015, Éditions Darong
Yin Ch’ien se présenta à l’élection du
chef de district.
Yin Ch’ien me demanda :
— Est-ce que je serai élu ?
Une déité fit voir un poème :
La participation à l’élection se fait
de tout son coeur, car une foule
désordonnée s’y presse.
Plusieurs hommes célèbres soutiennent
son estrade.
Les fanions, nombreux comme les
vagues de la mer, se dressent successivement.
Réussir aux élections, réussir aux
élections, c’est un souhait qui embrase
son coeur.
Yin Ch’ien le lut et dit avec un visage
souriant :
— C’est un joli poème qui représente un
signe d’être élu.
Yin Ch’ien tentait depuis longtemps sa
chance pour accrocher le grade de chef de
district. Il regarda ce poème et il estima qu’il
lui suffisait d’aller de l’avant, ainsi les électeurs
arriveraient naturellement en foule
pressée comme un essaim d’abeilles, beaucoup
d’hommes célèbres et de personnes
assez importantes se présenteraient en tant
que militants pour le soutenir, et les fanions
nombreux comme les montagnes et les mers
s’agiteraient partout au vent. Il lui suffisait de
penser qu’il deviendrait le chef de district, il
serait alors véritablement le chef de district
Yin.
Yin Ch’ien en fut content, et il s’en alla
avec ce poème.
Deux propos particulièrement marquants
de ce poème sont : « Réussir aux élections,
réussir aux élections ».
Lü Chin, son adversaire, fut informé de
cette consultation du sort. Il vint me rendre
une visite soudaine et nocturne. Il dit :
— Je veux également adresser à la déité
une demande de poème.
Alors, l’esprit divin lui attribua aussi
quelques vers. Les voici :
En ce bas monde, il est inutile d’accueillir
des fleurs chimériques.
À l’extrémité du ciel, le lever du
soleil se fait très bientôt.
L’avancement sans recul est un
mémoire conservé à jamais.
Pour l’esprit divin, la chance de
succès est de cent pour cent.
Lü Chin lut ce poème, mais ne le comprit
pas tout à fait. Qu’étaient les fleurs chimériques
? Que signifiait le lever du soleil ?
Évidemment, il ne fallait pas reculer devant
les élections. Mais que signifiait ce cent pour
cent ? D’après lui, seul le propos « cent pour
cent » était intéressant.
Lü Chin me demanda la signification de
ce poème.
Je lui répondis :
— Votre chance est excellente. Vous aurez
le succès sans avoir besoin de le chercher
; une lumière vous arrivera bientôt. Cent
pour cent de réussite n’est-il pas ce qu’il y a
de meilleur ?
Lü Chin s’inquiéta :
— Yin Ch’ien possède deux fois la
chance de gagner les élections. Pourquoi estce
que je n’en ai pas autant ?
Je lui répondis à l’oreille :
— Il en a deux, mais vous en avez cent.
Ainsi, Lü Chin s’en alla joyeusement.
Autrefois, chaque fois qu’une élection
avait lieu, il y avait toujours des candidats qui
se rendaient chez moi pour consulter leur
chance de gagner, pour savoir s’il y avait
dans leur destin une bonne fortune. Si le
résultat de la consultation était favorable, ils
présentaient alors leur candidature, si le résultat
était défavorable, ils ne manifestaient
pas leurs prétentions mais ils demandaient
en revanche quel moment serait idéal pour
remporter l’élection.
Concernant Yin Ch’ien et Lü Chin, le
premier s’y apprêtait depuis longtemps, et le
second s’était proclamé candidat au dernier
moment.
J’observai ces deux personnes.
Je vis Yin Ch’ien s’asseoir sur le siège
précieux destiné au chef de district, et aussi
les divinités protectrices de la contrée venir
lui offrir un étendard, une tablette portant
des inscriptions, et des instruments à vent et
à percussion. Je déclarai donc que Yin Ch’ien
devrait être élu, sans erreur possible.
J’examinai ensuite Lü Chin. Je constatai
qu’il s’asseyait également sur le siège précieux
du chef de district et je vis un officier
divin portant une robe rouge lui offrir un
étendard coloré sur lequel était inscrit « chef
de district Lü ».
Bon ! Cette fois, tous les deux seraient
élus. Comment serait-il possible d’avoir deux
chefs de district dans une même circonscription
? C’était une chose bien impossible. Cependant,
mon observation était vraiment celleci.
Ils avaient tous les deux la possibilité de
réussir l’élection, où se trouvait alors le problème
?
Effectivement, ces deux poèmes que la
divinité avait présentés étaient assez embarrassants,
et ils faisaient que les gens de la
région avaient un casse-tête et qu’ils en discutaient
avec enthousiasme.
Quant à moi, j’avais à l’époque une grande
réputation, ma prédiction spirituelle était reconnue
dans le monde, et les gens venus de
l’étranger étaient si nombreux qu’ils avaient
même défoncé la porte principale de ma
maison et qu’il ne me restait qu’à demander à
un disciple menuisier de la remplacer par une
autre.
D’ailleurs, lors des élections, l’élection
présidentielle, celle du chef de district, l’élection
municipale, celle du sénat, l’élection cantonale,
jusqu’à l’élection du chef du village,
les candidats étaient tous venus consulter
leur bonne fortune.
J’étais depuis toujours un pratiquant de
la perfection, et il n’était pas bon pour moi
de trop m’occuper d’affaires laïques. Alors, la
Mère d’or de l’Étang de jade m’indiqua :
— Immigrez aux États-Unis !
C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai
invité avec empressement la maîtresse Lianhsiang,
Fo-ching et Fo-chi à prendre l’avion
et à nous installer à Seattle, aux États-Unis.
(À suivre.)