Il n’y a rien à demander quand l’on est conscient

que le monde ressemble à un rêve

 

■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu

■ Discours abstrus sur la délivrance

« Pointer du doigt la Lune »

■ Traduit du chinois par Sandrine Fang

■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2017, Éditions Darong

 

 

Jadis, le révérend maître Lu citait sou-vent dans ses livres un poème du rêve de Wang An-shih. Le voici :

Étant conscient que le monde res-semble à un rêve, on n’a donc rien à désirer ;

Puisqu’il n’y a rien à désirer, le coeur se trouve alors dans la vacuité et la quiétude.

Il semble qu’en rêve on se laisse encore aller en suivant l’état de rê-vasserie,

Et réaliser les mérites du rêve, con-sidérables comme les sables d’un fleuve.

Personnellement, j’estime que le point clé de ce poème est le « rêve » ; ce poème peut avoir pour rôle d’avertir le monde de ne pas s’attacher obstinément au renom, au pro-fit, à l’entreprise, et de s’exercer tôt dans la pratique de la perfection. C’est un magnifi-que poème qui préconise le renoncement au monde ici-bas. Il ne faut pas le regarder avec indifférence.

Un jour, Wang An-shih arriva. Il dit au révérend maître Lu :

— Non seulement des poèmes du rêve, j’ai aussi beaucoup d’autres poèmes.

Je dis :

— Wang Chieh-fu, je vous ai reconnu. Vous êtes le premier conseiller de la dynastie des Song du Nord. Votre surnom est Chieh-fu, nommé par le sobriquet « Ban-shan (mi-pente de la montagne) ». Vous êtes l’un des huit grands prosateurs des dynasties Tang et

 

Song et avez écrit beaucoup de poèmes. Com-ment ne connaitrais-je pas cela ?

Il demanda :

— Révérend maître Lu, que connaissez-vous d’autre ?

Je répondis :

— Quand j’étais jeune, je savais que vous aviez engagé des réformes, mais à cause de l’application rigoureuse de vos nouvelles lois, vous aviez des querelles violentes avec les grands officiers du gouvernement. Je sa-vais aussi que vous étiez en conflit avec Sima Kuang. Finalement, la réforme du régime po-litique a échoué, et vous avez quitté la poli-tique !

Wang An-shih expliqua :

— Ma personnalité est très forte et dif-ficile à contrôler. Je suis la risée du révérend maître Lu. Aujourd’hui, je suis bien cons-cient de ma faute.

Je demandai :

— Quels poèmes avez-vous écrit ? Vous pouvez me les montrer.

Wang An-shih présenta plusieurs poèmes :

Un point de lumière bleue se reflète dans la moustiquaire de fenêtre,

Je lis avec passion le Shpurangama-sûtra (« Sûtra de l’Héroïque ») sans penser à la maison ;

J’ai pu comprendre que tous les fac-teurs conditionnants ressemblent à un rêve,

Il n’y a que des fleurs de lotus mer-veilleux en ce bas monde.

 

Et :

Le corps ressemble à une écume mais aussi au vent,

La coupure et le parfum sont tous les deux le vide ;

Assis sur le festin du monde en méditant cette raison,

Vimalakîrti, malgré sa maladie, pos-sédait le pouvoir surnaturel.

Et :

Dans les scènes de bons théâtres,

La richesse et la pauvreté alternent ;

Le coeur est bien conscient qu’elles sont la même chose,

On ne s’en contente pas ni ne s’en plaint.

Je demandai à Wang An-shih :

— Auprès de quel maître de contempla-tion avez-vous demandé conseil pour écrire ces poèmes si merveilleux ?

Il répondit :

— Le maître de contemplation Shan-yüan, le croyant laïc Chang Fang-p’ing, les maîtres de contemplation Ching-t’uan, Ke-weng et Liao-yüan.

Je demandai :

— Vous avez obtenu le dharma chez le maitre de contemplation Ke-weng, qu’avez-vous obtenu alors ?

Il répondit :

— Je réprimandais sévèrement Han Yu d’être un anti-bouddhiste notoire et un in-secte estival avec qui l’on ne pouvait parler de glace. Je réprimandais Zhu Xi d’avoir ex-clu le bouddhisme. Je critiquais Zhu Hui-an1 de ne pas être au courant des affaires du temps.

Je lui demandai :

— Le confucianisme existe-t-il encore aujourd’hui ?

Wang An-shih répondit :

— On manque de successeurs après Confucius et Mencius. Les saints d’aujour-d’hui comme Ma-tzu Tao-yi, Fên-yang Wu-yeh, Hsüeh Fêng-ts’un, Yen-t’ou Ch’üan-huo, Tan-hsia et Yün-mên-yen, se sont tous ralliés au bouddhisme !

Je demandai :

— Avez-vous compris cela ?

Il répondit :

— Il fait déjà jour, le tambour a déjà sonné, tous les saints sont arrivés en joignant leurs mains, comment pourrais-je ne pas joindre les mains ?

Je dis :

— Vous séjournez dans l’Unité du lotus.

Wang An-shih me répondit par cette ques-tion :

— Où séjournez-vous alors, révérend maître Lu ?

Je dis :

— Je me fais bouddha à l’endroit où il n’y a pas de bouddha. (Ce propos fait alar-mer le ciel et ébranler la terre.)