La mère de bouddha en robe blanche survole le lac

■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu

■ Discours abstrus sur la délivrance

« Pointer du doigt la Lune »

■ Traduit du chinois par Sandrine Fang

■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2017, Éditions Darong

 

Un jour, je vis arriver inopinément la

mère de bouddha en robe blanche.

Le révérend maître Lu lui demanda :

— Mère de bouddha en robe blanche,

d’où venez-vous ?

Elle répondit :

— Je suis arrivée en survolant le lac.

Je demandai :

— Mère de bouddha en robe blanche,

quel âge avez-vous ?

Elle répondit :

— Après le rituel de confession et de

purification en brûlant une bougie dans le

sanctuaire du mont des Vautours, je me

rendis directement en Chine en brillant

l’Antiquité et les temps modernes.

À ces propos, j’éprouvai des sentiments

de respect.

Sa première parole représente qu’elle

s’en remettait au destin en s’y prenant avec

aisance. Sa dernière parole, c’est le nonattachement,

qu’elle ne se fixait sur le temps,

sans commencement ni fin, c’est vraiment la

longévité infinie, la lumière infinie.

Je demandai à la mère de bouddha en

robe blanche d’offrir un enseignement

dharmique.

La mère de bouddha en robe blanche

dit :

— Si vous voulez comprendre votre

corps actuel, vous visualisez alors un crâne

desséché avec des vers blancs sortant en

rampant des cavités orbitaires. Si vous voulez

comprendre ce qu’est la nature constante,

vous visualisez alors un pilon de diamant

tenu dans votre main. Ce pilon de diamant

peut engloutir les innombrables révérends

maîtres Lu, mais le révérend maître Lu est

incapable d’avaler le moindre pilon de

diamant.

Je fus effrayé par ces propos.

La mère de bouddha en robe blanche

dit :

— Les vues, les entendus, les sensations

et les connaissances sont des causes pour

subir le cycle des existences successives, les

vus, les entendus, les sensations et les

connaissances sont aussi des essentiels pour

la délivrance. Avez-vous compris ? Avezvous

compris ?

Je dis :

— Les vues, les entendus, les sensations

et les connaissances du monde ordinaire

sont la souillure, la souillure est précisément

un karma ; le cycle des existences successives

dans les Six Voies et la cause de naissance et

de mort se trouvent bien là-dedans. Les vues,

les entendus, les sensations et les

connaissances du pratiquant de la perfection

sont des enseignements dharmiques du

bouddha Sâkyamuni ; car grâce aux vues, aux

entendus, aux sensations et aux

connaissances, il rentre dans sa nature

propre, cela est donc essentiel pour la

délivrance.

La mère de bouddha en robe blanche

me fit l’éloge :

— Vous n’avez pas trahi la confiance du

vieux maître Sâkyamuni !

Elle continua :

— Que c’est extraordinaire ! Les

bouddhas des dix directions sont en fait les

fleurs dans les yeux. On voudrait connaître

les fleurs qui sont dans les yeux, elles sont en

réalité les bouddhas des dix directions. On

voudrait connaître les bouddhas des dix

directions qui ne sont pas les fleurs dans les

yeux, on voudrait connaître les fleurs dans

les yeux, mais celles-ci ne sont pas les

bouddhas des dix directions. Ainsi, avezvous

compris ou pas ?

Je répondis :

— Par exemple, un miroir d’un pied de

grandeur peut contenir des images à maintes

rangées. Si on dit qu’elles existent, c’est bien

vrai ; si on dit qu’elles n’existent pas, c’est

vrai également ; si on dit qu’elles ne le sont

pas, c’est bien vrai ; si on dit non, c’est bien

exact ; si on dit oui, c’est juste également. Je

comprends cela, mais oui ; je ne comprends

pas cela, mais oui.

La mère de bouddha en robe blanche

écrivit une stance :

En se tournant vers l’ouest, on se

dirige vers l’est,

Le Boisseau du Nord s’écarte de

son palais principal ;

Quand la Voie partie est-elle

partie ?

Un jeune berger chevauche en

s’allongeant sur un buffle

Je composai une stance :

Faire connaître l’utilisation et

l’appliquer en un instant,

Il faut comprendre le sens des

dessous ;

Battre les veilles de minuit à midi,

Dire maintenant qui est l’hôte et qui

est le convive.

(La mère de bouddha en robe blanche a

écrit la première stance, j’ai composé la

seconde, tous les deux se mesurent à forces

égales comme drapeaux et tambours

équivalents en nombre. Comment ne seraitce

pas qu’elles s’accordent ?)

La mère de bouddha en robe blanche

demanda :

— Quelles sont les moeurs de l’école du

Vrai Bouddha ?

Je répondis :

— Se répandre vers l’ouest, se répandre

vers l’est !

La mère de bouddha en robe blanche

demanda :

— Quelle est son intention ?

— Ch’ien 1 est formé par trois longs

traits superposés, K’un2 par six petits traits

superposés.

La mère de bouddha en robe blanche

éclata de rire, le révérend maître Lu aussi

éclata de rire. Effectivement, une fois c’est le

maître, une fois c’est le disciple ; une fois

c’est l’hôte, une fois c’est le convive ; une

fois c’est la mère, une fois c’est le fils.

Je demande ici à mes saints disciples, le

savez-vous, qui est chez le révérend maître la

mère de bouddha en robe blanche ?

 

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1. Ch’ien est le premier des soixante-quatre

hexagrammes.

2. K’un est le second des soixante-quatre

hexagrammes.