Oublier tout
■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu
■ Discours abstrus sur la délivrance
« Pointer du doigt la Lune »
■ Traduit du chinois par Sandrine Fang
■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2017, Éditions Darong
Un fonctionnaire me demanda :
— Je suis un fonctionnaire, puis-je
apprendre le bouddhisme et obtenir la réalisation
?
Je répondis :
— C’est difficile à dire !
Le fonctionnaire demanda :
— Ce que veut dire le révérend maître
Lu, c’est que le fonctionnaire ne pourrait
pas obtenir la réalisation par la pratique du
bouddhisme ?
Je répondis :
— Ah ! À quel langage ce propos faitil
partie ?
Le fonctionnaire demanda à nouveau :
— Le révérend maître Lu dit tout à
coup que « c’est difficile », et tout à coup
« à quel langage ce propos fait-il partie ? »,
autrement dit, une fois qu’il est certain et
une fois qu’il est incertain. Qu’est-ce que
cela signifie ? Je ne comprends vraiment
pas ça.
Je dis :
— En fait, comprendre le coeur, pénétrer
la nature, finir le cycle des renaissances,
rompre totalement avec les ennuis
et ne plus subir le samsâra, c’est la voie où
l’on réalise l’état de bouddha durant la vie
présente. Sans distinguer celui qui est un
fonctionnaire de celui qui est un homme
ordinaire, il est bien difficile de parler de
leur réalisation si celle-ci est réussie ou
pas. Cependant, qu’importe que ce soit
fonctionnaire ou homme ordinaire, si l’on
cherche avec persévérance sa nature de
bouddha, on aura toujours la possibilité
d’atteindre l’état de bouddha. C’est pourquoi
j’ai dit « incertain » et « certain ».
Toute la raison se trouve là.
Le fonctionnaire demanda :
— Où se trouve la difficulté ?
Je répondis :
— La voie du Bouddha, ce n’est pas
les gens intelligents qui peuvent l’atteindre
; la voie du Bouddha, ce n’est pas
par des techniques que l’on peut la réaliser
; la voie du Bouddha, ce n’est pas
avec l’argent que l’on peut la réaliser ; la
voie du Bouddha, ce n’est pas les travailleurs
intellectuels qui peuvent la réaliser ;
la voie du Bouddha, ce n’est pas les hauts
fonctionnaires qui peuvent la réaliser ; la
voie du Bouddha, ce n’est pas les grands
bienfaiteurs qui peuvent la réaliser ; la voie
du Bouddha, ce n’est pas par la construction
d’un grand temple que l’on peut la
réaliser ; la voie du Bouddha, ce n’est pas
par l’étude des sûtra que l’on peut la réaliser
; la voie du Bouddha, ce n’est pas
par la pratique de la méditation que l’on
peut la réaliser…
Le fonctionnaire demanda :
— Étant donné que rien ne peut la
réaliser, quel genre de personne alors peut
la réaliser ?
Je répondis :
— Il faut tout oublier, et c’est ainsi
que l’on peut la réaliser.
Le fonctionnaire fut surpris :
— Oublier quoi ?
Je répondis :
— Oublier son propre corps, oublier
son coeur, oublier le monde, oublier le
renom, oublier les profits, oublier son
époux (-se), oublier la fortune familiale,
oublier son travail, oublier la jouissance,
oublier les louanges, oublier les diffamations,
oublier les visions et les opinions,
oublier les sensations éprouvées, oublier la
joie et les plaisirs, oublier les ennuis, oublier
les mémoires et les habitudes, oublier…
Le fonctionnaire demanda :
— C’est la débilité mentale, n’est-ce
pas ?
Je répondis :
— Ce n’est pas cette débilité mentalelà,
mais elle renferme un esprit d’éveil.
Je dis encore :
— Étant donné que son propre corps
charnel disparaît à tout moment, d’autant
plus que les gens, les affaires et les objets
qui sont étrangers au corps humain, il suffit
de prouver sa propre nature de bouddha
qui est, à l’origine, pure, vaste, complète,
absente de naissance et d’extinction
; qui, au début, n’est ni venue ni
partie ; qui est primitivement le dharma et
qui existe originairement par essence.
Voilà justement l’Éveil parfait.
Je dis :
— Personne n’atteint aisément l’état
de bouddha, mais tout le monde peut
arriver à l’état de bouddha.
Je dis :
— Le sixième patriarche fondateur a
écrit cette stance :
À vrai dire, la bodhi n’est pas un
arbre,
Le clair miroir n’est pas non plus
une estrade ;
Aucun objet n’existe à l’origine,
À quel endroit est-elle couverte
de poussière ?
Ceci est le « vide » et aussi la « fin ».
Dans cet état-là, on comprend l’absence
de perception du moi, l’absence de perception
de l’homme, l’absence de perception
de tous les êtres et l’absence de
perception de la succession des existences.
Les mondes des dix directions ressemblent
à une bulle sur l’eau de l’océan, tous
les saints et sages sont comme un plumeau
d’éclair. Rien n’empêche les pratiquants
de la perfection de se servir à ce
moment-là de leur esprit d’éveil à réaliser
leur voeu formé dans le monde illusoire, à
porter secours aux êtres, le secours est
tout de même illusoire ; l’apparition et la
disparition, l’avancée et le recul sont tous
mis au destin et délivrés des illusions.
Qui était le sixième patriarche fondateur?
C’est un secret, un secret, un secret.