Trois coups frappés sur la tête

 

■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu

■ Discours abstrus sur la délivrance

« Pointer du doigt la Lune »

■ Traduit du chinois par Sandrine Fang

■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2017, Éditions Darong

 

Le 30 avril 2012, des disciples de Hong Kong et un homme de Shang-hai m’invi-tèrent à dîner dans le restaurant He-yuen, à Taichung.

L’homme de Shang-hai demanda :

— J’ai assisté à la cérémonie de Mahâ-mayûrî-vidyârâjñî qui a eu lieu à Hong Kong ; la cérémonie est extraordinaire. Mais mon caractère est très fort, je ne désire pas encore la conversion.

Il dit encore :

— Ma cousine m’a conseillé de prendre refuge, mais je ne le souhaite pas non plus. Je lui ai dit que je prendrai refuge quand j’aurai reçu une réponse spirituelle.

Il dit :

— La nuit même, j’ai rêvé du révérend maître qui entrait dans mon rêve et qui m’a frappé à trois reprises à la tête. Quand je me suis réveillé, je suis donc allé prendre refuge.

Plus tard, l’homme qui était venu de Shang-hai vint s’enquérir de son mariage. Contre toute attente, son mariage arriva bien rapidement. Avant, il ne parvenait pas à se marier, mais dès qu’il eut pris refuge, il eut alors l’alliance parfaite voulue par le destin. (La date de son mariage était le quatre du mois de mai.)

Après avoir écouté ses propos, je restai silencieux.

L’homme venu de Shang-hai continua :

— J’ai l’impression que le révérend maître Lu était dans sa vie antérieure un empereur, et j’étais l’un de ses gardiens des portes.

Je dis :

— Est-ce qu’il s’agit de Wei Ch’i-kung0F1 et de Ch’in Shu-pao1F2 ?

Nous nous regardâmes et éclatâmes de rire.

L’homme venu de Shang-hai dit :

— Un moine m’a dit que je manquais d’une des trois âmes spirituelles.

Je dis :

— Ayez le coeur libre de soucis, je manque de deux des trois âmes spirituelles, et rien ne m’est arrivé.

Ha ! Ha ! Ha ! Tout le monde assis à la table éclata de rire.

Je me souviens bien de cette nuit où j’étais entré dans le rêve de l’homme de Shang-hai et l’avais frappé trois fois à la tête ; où j’avais engagé une conversation avec lui, et cette conversation contenait une allusion voilée. Malheureusement, il n’avait à l’esprit, après son réveil, que les trois coups frappés sur sa tête. En ce qui concerne le dialogue, il l’avait complètement oublié.

Je note ici la conversation :

Je demandai :

— Voudriez-vous entrer en religion ?

Il répondit :

— Je ne m’y entends pas en cela !

Je demandai :

— Voudriez-vous vous marier ?

Il répondit :

— Comme le feu et le feu.

Je demandai :

— Si c’est la rencontre avec de l’eau ?

Il répondit :

— Je ne donne pas la réponse.

Je demandai :

— Quel inconvénient y a-t-il d’en parler ?

Il dit :

— Si le feu rencontre l’eau, on ne pourra pas distinguer entre la présence et l’absence.

(J’écoutai sa réponse, j’étais tout de même stupéfait. Car ce n’est pas facile pour les hommes ordinaires de tenir un tel propos si détaché du monde. La présence, l’absence, il est très difficile de les décrire clairement. S’il pouvait répondre ainsi, il possédait effec-tivement un fond très solide.)

Je demandai :

— La présence ? L’absence ? Qui est en dette de qui ? Qui est vrai et qui est faux ? Qui est correct et qui est incorrect ? Qu’en dites-vous ?

Il dit :

— C’est rond comme le vide suprême ; il n’y a pas de dette ni de reste.

(C’est un propos provenant d’un fond très solide ; le commun des gens ne tient pas un tel propos, seules les personnes de talent le tiennent. Donc, le sommet de la délivrance ne se trouve pas dans le monde ici-bas. À l’extérieur du coeur, le dharma n’existe pas. Parce que le dharma n’existe pas à l’extérieur de son coeur, on peut donc obtenir la déli-vrance.)

Je demandai :

— Qui est le meilleur des meilleurs hommes ?

Il répondit :

— À l’est, c’est le meilleur des meilleurs hommes ; à l’ouest, c’est aussi le meilleur des meilleurs hommes ; au sud, c’est également le meilleur des meilleurs hommes ; au nord, c’est aussi le meilleur des meilleurs hommes.

Je lui frappai trois fois à la tête. Enfants du bouddha, pourquoi ne vous réveillez-vous pas ?