L’épanouissement d’une fleur de lotus à huit pétales

■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu

■ Discours abstrus sur la délivrance « Pointer du doigt la Lune »

■ Traduit du chinois par Sandrine Fang 

■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2017, Éditions Darong

 

Après avoir porté les chaussures à voyager en esprit, j’étais tombé gravement malade !

Il m’est impossible de le décrire en détail. Je le dépeins alors en trois mots : cruel ! terrible ! brutal !

J’explique à tout le monde ce qu’est l’épanouissement d’une fleur de lotus en huit pétales. En fait, mon crâne en bon état a brusquement commencé à se diviser ; il s’est fractionné petit à petit.

En apparence, j’étais dans mon état normal, ma tête n’était pas ouverte.

Cependant, veuillez ne pas vous effrayer et ne rien craindre, dans l’in-visibilité, mon crâne a commencé à se fendre.

À partir du centre de l’orifice céleste, ma tête s’est divisée soigneusement en huit parties. Quand un élément se séparait, l’intensité de ma douleur augmentait alors d’un cran ; si dix parties étaient apparues, ma douleur se serait amplifiée de dix crans.

Dans ce fait invisible, ce que j’ai ressenti était « la fraction de la tête ».

Il se peut que cette division du crâne ne soit pas compréhensible pour le commun des mortels. J’ai bien éprouvé les peines les plus grandes, les douleurs les plus fortes, et il est probable qu’en ce bas monde, aucune personne n’ait rencontré une telle expérience. Y a-t-il une maladie qui soit plus douloureuse, plus pénible que la fraction de la tête ?

J’ai lu autrefois le roman Récit du voyage vers l’Occident. Dans ce livre, le bodhisattva Avalokitésvara fait porter au singe pèlerin Sun Wu-kung une couronne d’or. Dès que la couronne d’or se rétrécit, Sun Wu-kung s’allonge et se roule par terre

en tous sens, il crie de douleur en se tenant la tête.

Voilà le rétrécissement crânien.

Mais ce que j’ai subi aujourd’hui était la fraction crânienne. Mon crâne s’est divisé en huit parties, chacune d’elles s’est séparée, l’une après l’autre, successivement.

Mon Dieu ! Ah ! c’était vraiment l’éboulement de la montagne, la déchirure de la terre. Ah ! c’était vraiment l’ex-plosion du volcan. Ah ! c’était vraiment le suintement du sang. Ah ! c’était vraiment le vent piquant qui pénètre jusqu’aux os.

J’allais mourir, j’étais vraiment sur le point de mourir. La douleur éprouvée ne pourrait être décrite par le vocabulaire humain, il est à craindre que le commun des mortels ne le comprenne pas. Effec-tivement, la mort est tellement doulou-reuse. Que l’épanouissement d’une fleur de lotus en huit pétales est un terme charmant ! Mais, en réalité, il est terrifiant.

J’ai vraiment prié mes trois déités d’élection : « La miséricordieuse et com-patissante Mère d’or de l’Étang de jade, le bouddha Amitâbha du Monde de la joie suprême de l’Ouest, le bodhisattva Ksiti-garbha au grand voeu, je vous prie de me recevoir et de me conduire pour aller renaître à la Terre pure ! Je n’ai vraiment plus envie de vivre, il me suffit de vivre jusqu’à cinquante-huit ans, j’ai la volonté de mourir ! Je voudrais aller renaître au maha Étang au Double Lotus ! Namo les trois cent soixante mille milliards cent dix-neuf mille cinq cents bouddhas du même nom que le bouddha Amitâbha, je vous prie de me recevoir et m’y conduire ! »

D’après une vieille pensée connue, une vieille pensée des Chinois, si l’homme vit pendant un siècle, cent ans, on peut le considérer comme ayant de la longévité ; un cycle de soixante ans peut être assimilé à une vieillesse avancée. Je n’avais alors que cinquante-huit ans, il me manquait deux ans, comment aurais-je pu chercher la mort et demander à renaître à la Terre pure ?

Cependant, le savez-vous, quand j’ai éprouvé la fraction crânienne, non seule-ment je n’avais aucune envie de vivre, mais j’avais même la volonté de chercher la mort.

Il n’y a pas de mal à réfléchir à ceci :

– je cherchais la mort ;

– je ne voulais pas continuer à vivre.

Une telle souffrance me poussait à bout de patience. Il n’y a pas lieu de s’é-tonner des quatre souffrances : la nais-sance, la vieillesse, la maladie et la mort, qui sont parmi les Huit Souffrances0F1. Quand la fleur de lotus à huit pétales s’est épanouie, au moment où les Quatre Grands se sont dispersés, j’ai décidé, sans la moindre hésitation, de mourir, d’aller vite renaître à la Terre pure.

Lorsque les douleurs se sont ma-nifestées, j’ai prié le Bouddha de me bénir avec ses lumières.

Il a répandu par trois fois de la lu-mière sur moi.

La fraîcheur que je me suis procurée ainsi a duré dix minutes ; chaque fois dix minutes, et j’ai obtenu une aise temporaire.

Cependant, la douleur provenant de la fraction crânienne a persisté le jour comme la nuit pendant quarante-neuf jours :

– je manquais d’appétit ;

– je devenais insomniaque ;

– il me semblait subir les supplices de l’enfer.

Maintenant, j’ai enfin compris pour-quoi des malades, au grand hôpital, s’é-taient traînés jusqu’à une fenêtre de leur chambre et s’étaient défenestrés. Pour-quoi ? Parce que la maladie est effecti-vement trop douloureuse !

Maintenant, j’ai enfin compris pour-quoi Hemingway s’est suicidé, pourquoi Yasunari Kawabata s’est donné la mort, pourquoi San-mao s’est tuée volontaire-ment, et tant d’autres…

Alors que je me trouvais dans une telle situation, si je n’avais pas été le boud-dha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu, j’aurais crié :

« Moi aussi, je veux me suicider ! »

Mais, je ne pouvais pas me tuer. Le suicide est l’assassinat du bouddha. J’étais un grand pratiquant de la perfection, j’avais la tâche de secourir les êtres vivants. Ah ! j’étais bien un pratiquant de l’endurance ! Je devais endurer les souffrances que le monde ne pouvait supporter : ce sont la souffrance du coeur, la souffrance du corps et les Huit Souffrances, je devais les en-durer toutes.

Je ne pouvais me suicider !

 

1 Hormis la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort, le chagrin et les lamentations, la douleur, l’affliction et le désespoir sont souffrance, être uni avec ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé(e) de ce que l’on aime ou de ce qui plaît est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance, les Cinq Agrégats de l’attachement sont souffrance.