Le malheur inopiné(1)

 

■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu

■ La Claire Lumière ici et maintenant

« Illumination sur le trouble de l'esprit »

■ Traduit du chinois par Sandrine Fang

■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2015, Éditions Darong

 

Je fus invité dans la maison de Ts’ai Liang, lequel était mon collègue dans un établissement d’enseignement.

Ts’ai Lien, fils de Ts’ai Liang, sortit de sa chambre d’études et traversa le salon. Ts’ai Liang l’arrêta en l’appelant et lui dit :

— Voici l’oncle Lu. Dis bonjour à l’oncle Lu !

Ts’ai Lien me fit simplement un signe de tête et s’en alla en hâte.

En ce bref instant, je contemplai le vi-sage de Ts’ai Lien et j’eus un soubresaut. Je me dis : « Comme son regard est dépravé, son teint jaunâtre. »

Je demandai :

— Quel âge a-t-il, votre enfant ?

— Il a dix-huit ans.

— C’est justement l’âge de la révolte.

Ts’ai Liang exprima :

— Ts’ai Lien est un bon garçon. Il est gentil depuis qu’il est petit, il adore la lec-ture, il sort rarement et demeure toujours dans son bureau d’études.

— Pour quel genre de livres se pas-sionne-t-il ?

— Pour nous, les parents, si notre en-fant reste paisiblement, calmement à la mai-son, s’il n’a pas de mauvais penchants et ne sort pas pour faire des bêtises, c’est déjà une bonne chose.

Je lui dis :

 

— Je vais donner à Ts’ai Lien un ou-vrage spirituel en plusieurs volumes qui per-mettent de se cultiver. J’en ai justement un sur moi.

— Merci beaucoup !

Je continuai :

— Savoir quel genre de livres les en-fants lisent est aussi une chose importante. En tant que parents, il faut tout de même prêter attention à leur lecture.

*

Quelques jours plus tard, Ts’ai Liang, impétueux, furieux, vint me voir avec une masse de livres dans les bras. Tout son corps tremblait de colère, et les ouvrages tombèrent pêle-mêle.

Je les ramassai, et j’y jetai un coup d’oeil. C’étaient Le Démon lascif, La Veuve mignonne, Une petite bonzesse descendue de la montagne, L’Histoire galante de Wu Tse-t’ien, Les Jeux hors de l’eau, etc.

Ts’ai Liang articula :

— Ce petit gars est resté chaque jour dans sa chambre d’études, et j’ai pensé qu’il était sage. Vous voyez quels livres il a lus. Ils étaient tous de la sorte et remplissaient un coffre. Il ne s’agit pas de livres anodins, il y a même des photos : hommes, femmes, tous nus, en montrant toutes sortes de posi-tions ; tous sont des lutins qui font l’amour.

 

Ts’ai Liang avait écouté mon conseil de la dernière fois ; il s’était introduit silencieu-sement dans le bureau de son fils pour re-garder quel genre de livres ce dernier lisait. Le garçon était plongé dans un ouvrage, bien concentré, ne remarquant pas l’arrivée de son père, et l’une de ses mains était bien occupée dans son pantalon.

Ts’ai Liang regarda le titre du livre, c’était La Débauchée convoite des hommes. Il y avait même plusieurs photos en couleurs : certaines filles portaient une jupe d’écolière, certaines autres étaient costumées ; les hommes et les femmes étaient tous dans une position d’accouplement, la bouche de ces femmes ouverte grandement, et leurs yeux séduisants fins comme des fils de soie.

Ts’ai Liang se mit en colère, mais son fils abaissa la tête.

Le père interrogea :

— Pourquoi est-ce que tu lis ce genre de livres ?

— C’est aussi une connaissance.

— Ce sont des livres licencieux !

— Mes camarades sont encore plus las-cifs !

— Plus lascifs ?

— Ils ont tous eu des expériences.

— Vous n’êtes que des collégiens !

— D’après un sondage fait par des élèves, cinquante pour cent des collégiens ont déjà connu ce genre d’expériences. Je

 

suis compté parmi ceux qui sont les moins à la mode.

Fort étonné par cet argument, Ts’ai Liang faillit faire tomber ses lunettes. Évi-demment, il était conscient que le temps actuel était une époque ouverte où les prin-cipes moraux n’existaient plus : parler de l’amour était en recrudescence ; la plupart des jeunes hommes, des étudiants, s’enfon-çaient depuis longtemps dans la mer pro-fonde du désir ; les commerces érotiques se répandaient partout dans la société ; les boutiques pornographiques existaient en tout lieu ; les films classés X pouvaient être diffusés à tout moment ; et c’était la mode. Mais, en voyant son propre fils ne pas pou-voir garder la mesure, Ts’ai Liang fut pro-fondément stupéfait !

Il me demanda :

— Que faut-il faire ?

— Apprenez-lui la juste connaissance du sexe.

— Et les livres ?

— Brûlez tous ces livres obscènes.

— Comment le conduire ?

— Détournez son attention, encouragez-le à participer aux activités extra-scolaires normales.

(À suivre)