■Le bouddha vivant Lian-sheng    Sheng-yen Lu

■Journal des voyages spirituels

  ~Un autre genre de manifestation du prodige~

■Traduit du chinois par Sandrine Fang

■Copyright © Sheng-yen Lu ©2011, Éditions Darong

6. « Jeter dans l'eau et dans le feu les reliques d'ossements du Bouddha pour les faire disparaître, dissiper les doutes du monde entier et interrompre définitivement l'infortune des générations à venir », voici mon commentaire :

Les ossements du Bouddha sont l'objet d'une commémoration, on peut les considérer avec respect en montrant sa gratitude. Les jeter dans l'eau et dans le feu, c'est faire toute une histoire pour un rien.

Il faut croire en Bouddha sans la moindre incrédulité.

Il n'y aura pas de malheur si on ajoute foi au Bouddha.

Serait-il possible que vous n'entendissiez jamais le propos du Souverain suprême : « Le bonheur et le malheur n'ont pas de porte d'accès, l'homme les attire sur lui-même » ?

En ce bas monde, dans le Monde Sahâ, l'esprit clairvoyant et pénétrant du Bouddha comprend au plus profond l'essence ultime des choses, la réalité fondamentale et absolue de tous les phénomènes. Si le genre humain ne se cultive pas dans la voie de la Délivrance ou dans la voie de la Bodhi, je ne sais pas quel est le sens de son existence, même si l'homme vit longtemps, jusqu'à l'âge de cent ans.

Lors d'un voyage spirituel, je vis la dévotion des êtres vivants qui vénéraient une relique d'ongle du Bouddha, et mon coeur s'en émut grandement. Certains des dévots se prosternèrent devant elle jusqu'à minuit, puis de minuit jusqu'à l'aube, et encore du petit matin jusqu'à la nuit suivante ; quand le portail du temple était fermé, ils faisaient alors des génuflexions devant la porte de la pagode.

Je vis aussi beaucoup de spectres et de génies s'avancer pour le cérémonial de cour. Certains d'entre eux s'y appliquaient avec sincérité, mais d'autres étaient venus en simples badauds ; d'autres encore faisaient un chambard de tous les diables. Je les regardai attentivement. En fait, ils se disputaient les rangs, les offrandes et les nourritures.

Il y avait en effet beaucoup d'offrandes : encens, fleurs, bougies, thé, fruits, etc. Les mânes des morts et les génies voulaient s'en emparer.

Au vu de cette situation, je n'arrêtais pas de pousser des soupirs.

J'aperçus l'arrivée d'un Immortel de l'ancien temps. Je lui demandai :

—Où est Han Yü ?

—Eh bien, il est resté à Ch'ao-chou !

—L'histoire s'est passée il y a bien longtemps, pourquoi reste-t-il encore à Ch'ao-chou ?

L'Immortel de l'ancien temps expliqua :

—À l'époque, l'empereur Li Chun eut un accès de colère quand il lut le texte des remontrances contre les ossements du Bouddha, et il voulut tuer Han Yü. Heureusement, les grands officiers Fei Du et Ts'ui Ch'ün, ainsi que les autres serviteurs, vinrent à sa rescousse. Il fut alors exilé au loin, près de la frontière, à Ch'ao-chou, dans le nord-est du Kuang-tung. Il faisait office de chef régional et il n'arriva pas, durant toute sa vie, à réaliser ses ambitions. Han Yü était quelqu'un de fidèle et de nigaud, parce que comme l'empereur ne lui demandait pas de rentrer, il resta là-bas jusqu'à sa mort !

—Depuis si longtemps !

—En l'espace d'une pensée, l'esprit peut traverser trois mille mondes dharmiques. Le temps passe très vite, mais aussi en un bref instant !

—Comment l'homme peut-il obtenir la délivrance ?

L'Immortel de l'ancien temps répondit :

—Si le genre humain veut obtenir la délivrance et prouver la bodhi, j'estime que trois grands facteurs essentiels sont indispensables.

—Lesquels ? demandai-je.

—Le premier, il faut vraiment avoir une affinité prédestiI née pour rencontrer un grand kalyanamitra (homme à la connaissance du bien). Le deuxième, il faut penser à finir le cycle de ses existences. Le troisième, il faut renoncer à toutes les réputations surfaites et à tous les profits illusoires. Si on est placé dans cette condition, on pourra être considéré comme un véritable pratiquant du bouddhisme.

Je demandai :

—Qui est l'homme à la connaissance du bien ?

L'Immortel de l'ancien temps éclata de rire et dit :

— Il est loin, à l'extrémité du ciel, et il est à proximité, devant moi.

 

-fin-