■Le bouddha vivant Lian-sheng    Sheng-yen Lu

■Journal des voyages spirituels

  ~Un autre genre de manifestation du prodige~

■Traduit du chinois par Sandrine Fang

■Copyright © Sheng-yen Lu ©2011, Éditions Darong

Par exemple, lors d'un voyage spirituel, j'entrai dans la Cité de la mort injuste et profitai de la promenade pour convertir des mânes des défunts. Je vis un disciple qui, de son vivant, avait pris refuge auprès de moi et avait maintenant un air fort pitoyable. Je voulus m'approcher de lui pour le seconder. Mais contre toute attente, quand je conduisis mes pas à côté de lui, il ne fit aucun cas de ma présence.

De l'est, je me dirigeai vers lui, il se détourna vers l'ouest.

Du sud, je me dirigeai vers lui, il se détourna vers le nord.

Je me portai vers le haut, il baissa alors la tête et ne me prêta pas attention.

Tandis que je sortais du sol par glissement, il m'adressa une injure :

— Sheng-yen Lu, quelle réalisation avez-vous achevée pour oser venir m'insulter !

— Pourquoi ne récitez-vous pas le nom du bouddha ou le mantra ?

— Sheng-yen Lu, je n'ai pas besoin de votre pitié, je n'apprécie ni votre secours ni votre aide pour la conversion. Votre talent de pacotille, que j'ai vu partout en action, n'a rien d'exceptionnel !

— Ne rentrez-vous pas au maha Étang au Double Lotus ?

— Non. Pour moi, la Cité de la mort injuste est beaucoup mieux que les autres états sphériques. Ici, tout le monde est semblable, tous sont bel et bien égaux, n'est-ce pas ? C'est la véritable égalité.

— Vous ne croyez pas en Bouddha qui peut porter secours aux êtres ?

— Je n'y crois pas.

Je soupirai :

— Bien que la porte de bouddha soit grande ouverte, ceux qui n'ont pas d'affinité prédestinée avec le Bouddha ne peu vent être sauvés !

Je voulus tendre la main pour le bénir, mais il lança un crachat sur le sol.

Je m'en allai silencieusement, extrêmement affligé.

Je composai cette stance :

Le monde du dharma des dix directions est comme la paume de la main.

Si on dit que c'est la réalisation, il ne semble pas qu'il en soit ainsi.

Tourner la tête en arrière pour regarder le voyageur dans la Cité de la mort injuste.

Vouloir sauver celui qui n'a pas d'affinité prédestinée est une discussion vaine.

Un autre exemple :

Je fis un voyage spirituel dans un monde du dharma, appelé

le Pays de l'obscurité et de la mort. Pourquoi ce nom ? Parce qu'il est obscur, complètement noir, c'est-à-dire que l'on ne voit même pas ses doigts quand on étend la main pour les regarder ; il a donc le mot « obscur » dans son nom. Et pourquoi a-t-il pour nom la « mort » ? Pour les habitants de ce pays, une fois qu'ils décèdent, tout meurt avec eux ; ils se retrouvent tous en position allongée, gisant comme des cadavres. Aucune de ces âmes n'est animée, leur conscience n'existe plus, voilà pourquoi ce pays a la « mort » pour nom.

La paume de ma main répandit de la lumière et illumina tous les êtres gisants de ce Pays de l'obscurité et de la mort.

J'éprouvai une grande frayeur.

L'idée suivante me traversa : étant donné que ma paume peut répandre de la lumière, il me suffit d'étendre la main pour bénir les êtres du Pays de l'obscurité et de la mort. La lumière diffusée de l'intérieur depuis ma main est très forte et capable de se déverser dans le coeur de tous les êtres vivants ; elle permet ainsi de produire constamment en eux un pouvoir prodigieux. C'est l'onction du bouddhisme tantrique, c'est aussi sa bénédiction.

J'espérai vivement que le pouvoir de bénédiction et les êtres bénis s'uniraient harmonieusement.

Avec la lumière de ma paume, je bénis plusieurs personne. Je remarquai que les êtres du Pays de l'obscurité et de la mort restaient insensibles, ils étaient immobiles, couchés raides comme des cadavres, sans le moindre signe de transcendance.

Je pleurai.

Un Tathâgata se montra et me dit :

— Les êtres qui séjournent dans le Pays de l'obscurité et de la mort sont véritablement obscurs et morts. Après l'extinction de l'homme, trois conditions : suivre les karma, suivre les habitudes et suivre la pensée, décident de l'endroit où il transmigrera. Cependant, les habitants du Pays de l'obscurité et de la mort ont déjà supprimé leurs karma et arrêté à la fois leurs habitudes et leur pensée d'aller renaître à la Terre pure ; leur état, après la mort et avant la renaissance, ressemble donc à un morceau de soie découpé. C'est vraiment le cas où une fois qu'ils décèdent, tout meurt avec eux, et leur âme se rend immédiatement dans le Pays de l'obscurité et de la mort, ne revoyant plus jamais le jour. Cela fait bien partie de la doctrine de l'un des six maîtres hétérodoxes④. L'absence de karma, l'absence d'habitudes, l'absence de pensée, l'absence de coeur de bodhi, c'est exactement le Pays de l'obscurité et de la mort.

— Obtiendront-ils un secours ?

— Non.

Le Tathâgata s'éclipsa.

J'étais désespéré de cette situation et je me sentais impuissant. Alors, j'exhorte respectueusement les pratiquants de la perfection à former un voeu de la bodhi, car seul le voeu de la bodhi peut vous mener à l'obtention de la délivrance.

- fin -

 

 

④Les six maîtres hétérodoxes auxquels s’opposa le bouddha Sâkyamuni sont : Pûrana-kâsyapa, Maskari-gosâliputran, Samjayi-vairatiputra, Ajita-kesakambala, Pakuda-katyâyana, Nirgrantha-jnatiputra.