Le dieu-cochon(1)
■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu
■ La Claire Lumière ici et maintenant Illumination sur le trouble de l'esprit
■ Traduit du chinois par Sandrine Fang
■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2015, Éditions Darong
Un ami me demanda d’établir un autel
divin pour un commerçant. Celui-ci connaissait
ma réputation et il ne voulait pas un
autre que moi pour ériger son autel divin.
À l’époque où je pratiquais pour les gens
la géomancie et prospectais le feng-shui, je
n’explorais pas uniquement l’habitation des
vivants et des morts, je m’occupais également
de l’établissement des autels divins.
Mon travail d’installation d’autel était
très précis et extrêmement prodigieux. En
tout cas, tout le monde me donnait des louanges.
Les points intuitifs de prospection pour
l’établissement d’un autel sont :
− la méthode des bras de grès (l’appui
sur deux côtés) ;
− la méthode du dieu de l’eau (la réception
du dieu de la richesse) ;
− la méthode de la vie féerique (la direction
prospère).
Je fus invité à aller chez ce commerçant.
Il sortit révérencieusement la statue d’une
déité dont les oreilles pouvaient servir
d’éventail, dont le museau était saillant, la
poitrine nue et le ventre exposé bien rondelet,
et dont la main tenait un râteau de fer.
C’était exactement le dieu-cochon.
Ce dieu-cochon n’était personne d’autre
que le cochon Pa Chieh consigné dans le
Récit du voyage vers l’Occident. Le cochon Pa
Chieh est un symbole de gloutonnerie et de
lasciveté.
Ayant vu la statue, je fus conscient que
la déité installée n’était pas l’esprit tutélaire
du territoire (le dieu probe de mascotte),
mais le dieu-cochon libidineux.
Je demandai au commerçant :
— Quelle entreprise gérez-vous ?
Il répondit :
— Une taverne.
(Une taverne est à Hong Kong et à
l’étranger un endroit où l’on peut prendre
des repas. À Taïwan, c’est un établissement
où l’on consomme de l’alcool en compagnie
de femmes, c’est un commerce pornographique.)
Je fus étonné de l’entendre. Ça irait mal !
Je me dis : « Il y a trois professions que les
bouddhistes ne peuvent faire : la première,
c’est le métier de l’abattage (la tuerie) ; la
seconde, c’est le métier du jeu d’argent (l’accroissement
de l’avidité) ; la troisième, c’est
le métier pornographique (le désir sexuel).
Ces trois métiers touchent à la question des
préceptes et des règles, influencent aussi
l’attribution des actes selon la loi du karma, il
vaut mieux ne pas les toucher. Pourtant, le
commerçant qui m’avait invité n’était pas
bouddhiste, mais en tant que pratiquant du
tantrisme, pourrais-je l’aider à édifier un autel
? En plus, je connais la loi du Ciel. »
Dans les tavernes, hommes et femmes
s’amusent en s’abreuvant d’alcool. Boire du
vin n’est qu’un moyen, en fait, « la pensée
s’émeut, les mains agissent et font des gestes
déplacés ; en profitant de l’occasion, le corps
se met près de l’autre, rusé, séduisant, se
faisant des embrassades et pratiquant le flirt ;
les mains et la bouche agissent simultanément.
» C’est un péché causé par la luxure de
la bouche, de la main et du corps.
Les gens qui vont dans les tavernes pour
goûter véritablement du bon vin sont très
peu nombreux. Les piliers de taverne sont
pratiquement des buveurs et des coureurs.
Le vin est un agent de la lubricité. Après
avoir bu, hommes et femmes entrent, par
paire, par couple, dans des chambres secrètes
et s’accouplent, en montrant l’image de deux
corps tout nus.
Les péchés de luxure causés par la
bouche, la main et le corps font perdre la
longévité et la part du bonheur, inscrivent les
pêcheurs dans le registre de la vie courte et
les font devenir malchanceux et pauvres.
Après la réincarnation, les quatre membres
se rétractent, les mouvements sont difficiles,
les poings se courbent, les doigts deviennent
tronqués, les mains fétides et pleines d’abcès,
le corps est frappé d’une hémiplégie, etc.
Aujourd’hui, si j’établissais un autel dans
la taverne, si j’inaugurais le cochon Pa Chieh,
ne pousserais-je pas indirectement les gens à
se jeter dans la fosse de feu ?
Si je faisais la consécration du dieucochon,
il deviendrait fort prodigieux ! Il emprisonnerait
beaucoup d’hommes, et ceux-ci
ne pourraient arrêter leur démangeaison au
coeur et voudraient se rendre à la taverne
chaque soir ! Leur salive coulerait ! Leurs
yeux se rempliraient de la couleur de lasciveté
! Leur coeur se soumettrait à l’imagination
! Leur nez se mettrait à flairer ! Leurs
trois âmes spirituelles et leurs sept âmes sensitives
s’élèveraient en volant dans les airs,
leur coeur et leur esprit seraient anéantis, leur
âme serait absente, transportée, extasiée !
Ce dieu-cochon est vraiment très fort, il
est la grande déité dépravée des esprits pervertis,
il est en mesure d’aider les entreprises
pornographiques à prospérer.
Je résolus de m’arrêter là, je ne pouvais
établir l’autel pour le commerçant, ni inaugurer
le dieu-cochon.
J’articulai :
— Je suis incapable de m’en acquitter !
Le commerçant demanda :
— Pourquoi ?
Hébété, je n’arrivai pas à donner de raison,
je demeurai là, bêtement. Bien que j’en-
courage
la grande moralité, déteste le mal
comme je déteste un ennemi, secoure les
nécessiteux et aide les ruinés, je ne pus brusquement
refuser ce service au commerçant,
car lorsque mon ami était venu me trouver,
j’avais donné mon accord sur-le-champ,
comment pourrais-je contredire ma parole
maintenant ?
Je fus vraiment embarrassé, irrésolu.
À cet instant, une lumière spirituelle étincela
devant mes yeux et la Mère d’or de
l’Étang de jade me dit doucement à l’oreille :
— Vous pouvez l’inaugurer ! J’en endosse
toute la responsabilité.
Ayant entendu ce propos, j’eus l’esprit
en repos.
Étant donné que la Mère d’or de l’Étang
de jade en prenait la responsabilité, il n’y
aurait pas de problème pour cette affaire. Le
nom complet de la Mère d’or de l’Étang de
jade est « La grande sainte, la souveraine de
l’ouest, la vénérable Mère d’or céleste de
l’étang de jade infini ». Elle est un ch’i (une
énergie, un souffle) merveilleux de l’ouest,
qui existe avant le Ciel, elle séjourne dans
l’ouest, sa vertu s’apparente au principe K’un,
elle est l’une des déités les plus éminentes
des cinq points cardinaux.
L’appellation proverbiale, la Reine mère
de l’ouest désigne la Mère d’or. Elle est la
déité suprême du séjour profond, parfait et
extraordinaire des immortels, à l’ouest de la
Chine. La Mère d’or et le Père de bois administrent
ensemble les énergies du yin et du
yang, cultivent la terre et soignent tous les
êtres. Les Fées des dix directions et des trois
sphères de l’existence sont toutes gouvernées
par la Mère d’or de l’Étang de jade.
(la suite au prochain numéro)