Une étrange histoire de délivrance(3)
■ Le bouddha vivant Lian-sheng, Sheng-yen Lu
■ La Claire Lumière ici et maintenant Illumination sur le trouble de l'esprit
■ Traduit du chinois par Sandrine Fang
■ Copyright © Sheng-yen Lu ©2015, Éditions Darong
Je fus saisi d’effroi après avoir lu cela.
Chaque mot et chaque phrase s’inscrivaient si nettement sur l’écran qui se manifestait
dans mon coeur.
Effectivement, Hsü Pen faisait preuve d’une audace insensée dans la recherche des
plaisirs sexuels. Il avait violenté sa servante et l’épouse de son domestique devant la divinité
du fourneau ; il avait souillé une nonne devant le Bouddha ; il avait détruit la chasteté
de sa voisine veuve ; il avait outragé des filles de bonne famille et les avait tuées.
Deux râksasa envoyés par le royaume des esprits maléfiques avaient ingurgité Hsü
Pen. Puisqu’il était avalé dans leur ventre, son âme ne pouvait en sortir. En fin de
compte, les deux râksasa l’avaient complètement digérée.
J’exhorte le genre humain :
Il ne faut pas lâcher la bride au désir sexuel. Si on laisse libre cours aux plaisirs charnels, le malheur se produira facilement. Les jouissances extrêmes génèrent l’infortune, c’est un propos déjà dit par l’homme d’autrefois.
Celui qui vit dans la débauche ne pense absolument pas à la vertu. Sa libido est infinie,
il ressasse son désir constamment, sans relâche, et il ne veut pas en finir au terme
même de la mort !
C’est ainsi :
On subit peu à peu l’influence de la séduction Et on se conduit petit à petit dans l’indécence ;
On se livre à la débauche Et commet tous les méfaits.
*
Je me promenai dans la rue et je rencontrai par hasard un vieillard inconnu. Ce vieillard
me demanda :
— Est-ce que vous êtes bien Sheng-yen Lu, le maître Lu ?
— Oui, répondis-je.
— Vous ne me reconnaissez pas ?
— Vous avez un visage connu, dis-je.
Mais comme je vois une centaine de personnes par jour, je suis vraiment désolé de
ne pas vous reconnaître. Excusez-moi !
Le vieillard se présenta :
— Mon nom est Sou, je suis le concierge de la maison de Hsü. J’ai vu grandir Hsü Pen. J’ai été sur place lorsque vous avez présidé pour lui la cérémonie de la délivrance.
— Oh ! Oui !
Je me souvins du concierge Sou. On s’était rencontré plusieurs fois, et je lui avais appris comment édifier un autel dharmique pour la cérémonie de la délivrance.
— J’ai entendu ce soir-là les propos que vous avez dit après être descendu de votre
siège du dharma.
— Je suis désolé ! Il m’a été vraiment impossible de délivrer Hsü Pen.
Il tapota mon épaule et dit :
— Vous êtes un authentique, un vrai maître de la Loi !
— Un vrai ?
— Un vrai, c’est la vérité ! affirma-t-il.
Le vieillard me fit savoir à voix très
basse :
— Nous étions bien conscients du comportement de Hsü Pen, et nous avions un
coeur fort navré. Mais notre salaire est versé par sa famille, et nous n’avons pas eu l’audace
de lui adresser une critique.
Il soupira et continua :
— Le caractère lascif de Hsü Pen était si terrible qu’il profanait le Ciel. Ce jeune
homme méritait de mourir à la fleur de l’âge !
Le vieillard expliqua qu’il y avait quatre servantes et un concierge dans la maison de
Hsü. Une fois, en pleine nuit, il n’arrivait pas à s’endormir et il voulut fumer une cigarette,
alors, il se leva de son lit, il se dirigea en faisant un détour vers le jardin arrière et s’apprêta
à allumer sa cigarette. Il entendit alors les hurlements de la servante Shen. Le vieillard se mit à l’abri et regarda. Il fut saisi de surprise, car sous la lumière lunaire, deux corps nus était en train de faire l’amour, et la personne qui se trouvait au-dessus était justement Hsü Pen.
La servante Shen était déjà entre deux âges. Son mari était toujours vivant.
Plus tard, le vieillard s’aperçut qu’ils faisaient aussi l’amour dans la cuisine. Ce qui
fut le plus inimaginable, c’était que les quatre servantes acceptaient cette relation avec lui
et même se jalousaient l’une l’autre !
Je demandai :
— Est-ce qu’il y a eu une victime religieuse ?
Le vieillard questionna avec étonnement :
— Comment le savez-vous ?
Chez Hsü, il y avait une salle où étaient conservées les tablettes de ses ancêtres. Il l’avait agrandie ultérieurement et avait pris pour directrice une bhiksunî. Hsü Pen avait engagé également une jeune nonne, celle-ci n’avait pas refusé. Plus tard, la directrice s’en était plainte et la jeune religieuse était alors partie.
— Et la veuve ?
Le vieillard dit :
— Vous connaissez bien toute l’histoire ! Hélas ! hélas ! Ce jeune homme qui méritait
de mourir à la fleur de l’âge se conduisait vraiment d’une manière trop insensée.
Aussi, il y avait aussi… Je ne peux plus décrire.
De toute façon, je ne peux plus décrire…
— Finalement, comment Hsü Pen est-il mort ? demandai-je.
Le vieillard répondit :
— Sa mort est vraiment étrange ! Sa mort est tout à fait inexplicable ! Au moment du
repas, ayant à peine pris une bouchée de riz, il est devenu complètement immobile, et,
brusquement, sa tête s’est inclinée, et il est mort !
Le vieillard et moi poussâmes un soupir.
Voici trois poèmes en prose pour exhorter le monde :
La servante espère aussi avoir une bonne situation, elle attend le mariage tout en gardant sa virginité.
C’est seulement à cause de la pauvreté qu’elle contrevient à l’amour parental qui est froid comme l’eau.
Il ne faut pas admirer les herbes poussées devant les marches, il ne faut pas convoiter les verres posés sur la table. Cent ans après, il est difficile de conserver l’ancien linteau de la maison, il est à craindre qu’on fasse mal aux gens, et c’est un acte répugnant.
L’épouse du serviteur n’est pas du tout servile, sa timidité et son appréhension sont comme celles d’autrui.
L’entrée dans la maison de son maître et son obéissance à ce dernier sont des actes forcés dont la transgression est un péché lourd et profond. Vous devez vous-même distinguer qui est votre épouse, je dois mettre les coutumes de ma famille dans un ordre rigoureux.
Depuis toujours, les servantes sont fidèles à leur maître, il est intolérable que le maître prenne une liberté immonde avec elles.
Une femme vit dans un chaste veuvage, il faut que l’homme la respecte.
En faisant montre de sa richesse, en tirant parti des circonstances favorables, le débauché s’adonne au viol, il fait le mal toute sa vie, ses péchés commis ne sont pas légers. Qui va déterminer ce karma négatif ? Les plaisirs sensuels sont éphémères comme la fumée.
Il perd désormais une postérité vertueuse, il est à craindre que la ruine soit inévitable.
(fin)